PRATIQUER LE YOGA EN MUSIQUE : BONNE OU MAUVAISE IDÉE ?

Pratiquer le yoga en musique est-ce une aide à la pratique, à la concentration ou au contraire est-ce un obstacle, une distraction qui éloigne de l’état de yoga ?

Certains aiment écouter de la musique pendant le cours de yoga

Lorsque j’ai commencé à enseigner le yoga, j’ai repris un cours qui existait déjà et comprenait un temps de relaxation finale en musique. Afin de répondre au format de ce cours, je me suis constitué une playlist de relaxation. 

 

Puis, j’ai commencé à mettre aussi de la musique dans mes autres cours de Hatha yoga, tant cela contribuait, selon moi, à créer une ambiance agréable.

 

J’avais d’ailleurs en tant qu’élève déjà expérimenté et aimé la musique lors des séances de Hatha Yoga à la Croix Rousse. J’apprécais cette ambiance musicale qui me portait et que je n’étais pas convaincue que mettre de la musique pouvait être problématique.

 

J’étais en cela en divergence, pour une rare fois, avec l’enseignement que j’avais reçu de ma formatrice de l’Institut Français de yoga, qui nous avait clairement indiqué de limiter les distractions pendant les cours et notamment le recours à la musique

yoga lyon 4 yoga en musique

Mais les problèmes techniques peuvent être un premier obstacle à l'intériorisation

Puis, j’ai commencé à rencontrer différents problèmes quand j’enseignais en musique :

Des musiques qui arrivaient au mauvais moment et pouvaient être en dissonance avec l’énergie de la posture ou de la séquence et par conséquent pouvaient gêner les élèves dans leur intériorisation.

Des problèmes techniques : Bluetooth qui se déconnecte, bruit d’enceinte qui sonne en s’éteignant et se rallumant.

Bref, autant de désagréments qui ont fait que j’ai arrêté de mettre de la musique car cela devenait potentielle source de dissonance pendant le cours.

La musique pendant les cours de yoga peut créer une dépendance

yoga en musique lyon 4

Après que j’ai arrêté de mettre de la musique, un élève m’a demandé pourquoi il n’y avait plus de musique, et il m’a partagé que cela le dérangeait dans sa pratique car la musique l’aidait à déconnecter, à mieux entrer dans le cours.

 

Et c’est là que j’ai compris que j’avais créé une dépendance et que cet élève qui pratiquait auparavant sans musique en avait maintenant besoin. 

 

 

D’autres élèves m’ont aussi demandé de remettre de la musique. J’avais créé un problème, un déséquilibre, le yoga ne se suffisait plus à lui-même, et c’est en comprenant cela que j’ai décidé de ne plus mettre de musique dans mes cours de Hatha yoga.

La musique projette nos sens à l'extérieur alors que le yoga nous rassemble vers notre monde intérieur

Pourquoi maîtriser les attractions sensorielles ? Et bien, par ce que, nos sens nous projettent vers l’extérieur, nous en sommes dépendants. Le yoga nous permet d’intégrer ces sens mais en les tournant à l’intérieur « ouvrant par la même la porte d’un monde intérieur » (Frans Moors).

 

Toujours selon de Frans Moors : lorsque le Yogin pratique le détachement et ne s’attache plus aux attractions des sens, il découvre alors « au fond de lui-même le plus grand trésor qui soit. Par là même, il atteint le stade absolu de plénitude et de décontraction, sans avidité envers quoi que ce soit.»

Une maitrise du détachement existe lorsque, en parfaite conscience, ont disparu les désirs et attractions envers les objets offerts à nos sens …

La musique : un possible obstacle à une pratique méditative

On ne rappellera jamais assez que la pratiques posturale (ASANA) n’est qu’un seul des 8 membres du yoga, à côté des disciplines relationnelle (YAMA), personnelle (NYAMA), respiratoire (PRANAYAMA), sensorielle (PRATYAHARA), de la concentration (DHARANA) de la méditation (DHYANA) et de la libération (SAMADHI).

 

Pratyahara signifie, selon les mots de T.K.V. Desikachar (formé par son père le grand maître indien Tirumalai Krishnamāchārya) « se retirer de ce dont on se nourrit ». Pratyahara c’est lorsque « les sens s’abstiennent de se nourrir de leurs objets ». L’esprit s’implique tellement dans un objet spécifique, la conscience du souffle par exemple, que les autres organes sensoriels ne peuvent être absorbés par leurs objets habituels, par exemple les sons pour les oreilles.

 

En ce sens, pratyahara est concomitant à la concentration et à la méditation.

Ecouter de la musique peut mener à une déperdition d'énergie

Prathyara, selon les mots de Michèle Lefèvre dans ce podcast que je vous conseille fortement, c’est ” un principe de conservation de l’énergie pour la réorienter “. 

 

Les sens consomment de l’énergie et le yogi veut conserver son énergie en lui-même. Ainsi écouter de la musique pendant un cours de yoga peut mener a une déperdition d’énergie.

 

Si l’on ne se cherche pas à canaliser les sens lorsque nous essayons de méditer, alors les odeurs, les bruits et les activités extérieures nous empêchent d’aller à l’intérieur, parce que nos sens sont stimulés et attirés vers l’extérieur.

En outre, cela ne s’applique pas qu’à la méditation en posture assise mais aussi à une pratique d’asanas.

 

De fait, si nous construisons nos séances de yoga avec des objets de méditation spécifiques, comme la conscience du souffle, du mouvement ou des appuis par exemple, on comprend bien pourquoi il faut pratiquer en silence. En effet, les sens doivent alors se consacrer à l’objet de méditation : le bhâvanâ de la pratique et ne pas être stimulés par ce qui vient de l’extérieur.

yoga en musique croix rousse

Ainsi « les organes sensoriels cessent de se gaver de toute sorte de nourriture. Ils se rétractent vers le mental et le pratiquant n’est plus projeté de manière désordonnée ou compulsive dans toutes les directions »

Les émotions que véhiculent la musique peuvent aussi constituer un obstacle

Je me souviens d’un des mes premiers cours de yoga que je donnais à quelques amis, j’avais sélectionné une musique classique que je pensais adaptée au recueillement intérieur. Un ami, a qui je donnais le cours, m’a alors demandé d’arrêter cette musique tant les émotions qu’elle faisait remonter étaient pénibles. 

 

J’ai compris un peu plus tard, en échangeant avec lui, que cette musique lui rappelait sa femme disparue quelques années plus tôt. Ainsi, il ne pouvait se concentrer lors de cette pratique posturale tant la musique l’empêchaient de canaliser mental et émotions. La musique est un puissant déclencheur d’émotions.

Dans son excellent ouvrage intitulé “L’art de la concentration”, Pierre Feuga écrit ceci :

La musique peut-elle mener à l'état de concentration ? C'est l'évidence. Mais peut-on pratiquer sa concentration en écoutant de la musique ? C'est moins sûr et peu recommandable au début. L'expérience décisive pour le novice nous paraît en effet celle de l'immobilité et du silence. Elle marque une rupture délibérée avec le mode profane, celui des bruits et des mouvements. Certaines musiques sacrées d'Orient ou d'Occident, certaines oeuvres sans visées religieuse même, ont assurément la vertu d'élever l'esprit tout en contenant ou canalisant les émotions qui seraient ici le grand obstacle.

Avec ce qui précède, on comprend pourquoi la musique dans les cours de yoga peut constituer une distraction, un obstacle à la concentration, la méditation, à l’intériorisation. 

Ci-après un lien vers un post Linkedin très intéressant. Le neuropsychologue David Le Prunénec, y explique très clairement les effets de la musique sur notre cerveau et notre corps. La musique c’est du bruit qui pense (post Linkedin)

La musique c'est du bruit qui pense

Mais la musique peut néanmoins être un objet de méditation

Patanjali nous dit dans le sutra 1.35 qu’il existe différents moyens pour apaiser le mental et le clarifier lorsque l’on traverse des moments difficiles. On peut ainsi selon la traduction de Frans Moors  “recourir à une activité intelligente en relation aux objets des sens pour favoriser la stabilité et le contrôle ferme du mental

Ainsi, si jusque-là Patanjali nous a plutôt conseillé de réfréner nos sens, ici il nous invite au contraire à partir d’eux pour se canaliser. Au lieu de subir nos sens, nous pouvons nous en rendre maître et les utiliser pour nous canaliser plutôt que de les réprimer.

Les objets de méditation sont divers et s’il est vrai que dans les cours de yoga, c’est souvent le souffle qui est au cœur de la méditation on pourrait alors aussi envisager de prendre une musique ou un son comme un objet de méditation.

 

Dans ce cas précis, il y aurait un effort de concentration sur cette musique, et la direction des sens iraient vers cette musique. Il ne s’agit pas alors d’une distraction mais d’une concentration et d’une pratique méditative dont l’enjeu est le silence.

 

 

Ecoutons à ce tire, l’analyse de Michèle Lefèvre dans cet autre remarquable podcast :

Le son émerge toujours du silence et le son retourne toujours au silence. Les pratiques yogiques nous conduisent à observer le mental et à le calmer. Le mental est extrêmement bruyant, les techniques du yoga, si elles passent par le son, sont des façons d’amener un son différent, un son précis, un son élévateur qui va calmer le mental. Donc l’objectif est toujours de retourner au silence. On va utiliser ce qui peut paraitre contraire et opposé pour aller – in fine – vers le silence. Le silence dans le quel se déploie la pure conscience. Les indiens l’ont bien compris, dans “Mantra” on retrouve manas : le mental et tra : le fait de pouvoir contrôler, maitriser. Dans le mantra, il y a l’idée de captiver le mental pour l’amener sur un fil … nous amener sur une pensée unique, et quand une pensée est unique alors le mental ne bouge plus. Toutes les techniques du son nous ramènent au silence

 

Les 5 sens en yoga et ayurvéda avec Michèle Lefèvre

Ainsi, les mantras sont de formidables objets de concentration notamment lorsqu’ils sont synchronisés avec la respiration et répétés mentalement, mais ils sont alors des objets de concentration internes et la concentration peut être maximale.

Prathyara, ce n’est pas l’abolition des sens mais leur réorientation afin de canaliser le mental. Par exemple, dans la pratique de Nada Anusandhana, on cherche à écouter le son intérieur. On se bouche les oreilles avec les mains et on écoute les bruits du corps, les bruits intérieurs. On va du son le plus physique vers le plus subtil mais in fine comme le précise Michèle Lefèvre, il s’agit d’arriver au silence.

Il ne s'agit pas de renier la puissance énergétique et vibratoire du son

Pour éviter tout écueil, cet article n’est pas un article anti-musique. Il ne remet pas en cause l’aspect vibratoire des sons, des mantras notamment et leur puissance curative. L’objectif est juste de clarifier les choses.

 

Dans, un bain sonore par exemple (bain de gong, bol chantant ou autre) je m’abandonne au son, je le laisse agir sur moi et me faire vibrer. Il y a une forme de passivité, de laisser aller, d’abandon au son auquel mon corps répond. Je reçois le son extérieur à l’intérieur de moi et nous vibrons ensemble.

 

Tandis, que dans une pratique d’Asana, je suis d’avantage actif sur mon corps vibratoire, je ne me laisse pas envahir par une vibration extérieure à moi, mais je cherche à écouter ma vibration propre dans cette onde de forme qu’est ma posture, j’entre en résonance avec moi-même et ce “soi” qui me dépasse mais à partir d’une écoute de ce qui est à l’intérieur. Aussi, je suis plus actif dans la rencontre avec mon corps vibratoire.

Soigner sa playlist

Il existe sans doute des circonstances où l’on n’a pas d’autres choix que de mettre de la musique dans ses cours de yoga, imaginons une salle tellement bruyante, que la musique permettrait couvrir les bruits et d’atténuer en quelque sorte les distractions extérieures ? ou imaginons un studio qui vous impose de mettre de la musique.

Comment faire le moindre mal ?

 

Dans son livre «Embrace Yoga’s roots » Susanna Barkatari, qui s’intéresse notamment à l’appropriation culturelle du yoga par l’occident, précise que traditionnellement en Inde, les séances de yoga se pratiquent en silence.  Elle ajoute néanmoins que si vraiment on veut mettre de la musique, comme c’est le cas dans de nombreux studios en occident, il peut être judicieux soigner sa playlist.

 

 

De fait, il est à déplorer selon elle que souvent les musiques choisies ne soient pas connectées à la tradition du yoga ou de la culture de l’asie du sud.

musique cours yoga croix rousse

Prendre soin des chants sacrés

Ou alors, lorsque la musique est plus traditionnelle, telle que les bhajans ou kirtan (chants dévotionnels), elle soit jouée par des occidentaux qui ne prononcent pas toujours correctement les mots sacrés et/ou qui n’ont pas nécessairement la compréhension du contexte culturel dans lequel il faut les utiliser. Ainsi, elle souligne que la pratique respectueuse, celle qui apprécierait et honorerait la culture indienne serait donc de diffuser ou de ne pas exclure les artistes originaires d’Asie du sud.

 

On peut aussi ajouter à cette réflexion la dénaturation parfois des chants védiques auxquels on ajoute des mélodies qui n’ont rien à voir avec la tonalité du chant en sanskrit.

 

En somme faire attention à ne pas utiliser des chants sacrés sans respecter la tradition d’où proviennent ces chants et ceux dont c’est la culture.

Quid de l'oreille absolue ?

Un pratiquant ayant l’oreille absolu trouverait un cours en musique insupportable. L’oreille absolue c’est entendre toutes les notes d’un morceau et c’est encore plus difficile de s’extraire de la musique.

Cela peut être très gênant, lorsque l’on ressent une impression de fausseté sur certaines notes, parfois même un supplice.

En tout cas un obstacle énorme à l’intériorisation.

yoga musique lyon croix rousse

Le cas spécifique du YIN yoga qui se pratique parfois en musique

Pour conclure, je tiens à nuancer cette reflexion en la replacant dans son cadre théorique. De fait, cette reflexion sur la musique s’inscrit dans le cadre théorique du HATHA yoga et de l’interprétation que l’on peut en faire à partir des YOGA SUTRA de Patanjali et du concept de PRATYAHARA

 

La pratique du YIN yoga par exemple se fonde sur des principes et une approche qui sont différents et dans lequelles la musique peut venir ouvrir des portes et peut aider au relâchement. En YIN Yoga, l’idée de concentration n’est plus aussi centrale qu’en HATHA, il n’y a pas non plus la notion d’effort musculaire puisque c’est l’idée de relâchement qui est centrale. 

 

Ainsi, il faut bien situer l’angle d’approche de cette reflexion via le prisme du HATHA yoga et de la doctrine de Patanjali et mesurer sa limite d’application.

 

Et vous ? Pratiquez-vous ou enseignez-vous en musique ? Partagez-vous certaines idées de cet article ? Pensez-vous que la musique peut ouvrir des portes lorsqu’on pratique ou qu’elle est un obstacle à l’état de yoga ? Curieuse d’entendre vos expériences.

 

Daphné – Inclusive yoga

Pour aller plus loin

Et vous ? Pratiquez-vous ou enseignez-vous en musique ? Partagez-vous certaines idées de cet article ? Pensez-vous que la musique puisse ouvrir des portes lorsqu’on pratique ou qu’elle est un obstacle à l’état de yoga ? 

Curieuse d’entendre vos expériences et retours pour enrichir cette réflexion.

 

Daphné

Yoga Croix-Rousse plateau et Lyon 4 - Essai gratuit toute l'année. Inscription toute l'année.

Nos cours de yoga impliquent un travail sur le souffle (exercices de pranayama) et sur la canalisation du mental (méditations, visualisations, pleine conscience).

2 réponses

  1. Cet article très intéressant tombe à pic ! J’ai fait un mini sondage lors d’un cours, et la plupart des élèves préfèrent en musique, ou sont indifférents. J’enseigne principalement le Hatha et je préfère en silence. Le vinyasa, qui est une forme plus moderne peut mieux se prêter à une ambiance musicale je trouve.
    Maintenant, j’utilise des playlists lors de mes cours particuliers car mes élèves aiment bien, mais c’est vrai qu’à un moment ça prêtait à rire à cause du côté “new âge”. Et même un mantra que j’adore, Sa Ta Na Ma, en diffusant une version en musique, j’ai senti qu’on s’éloignait aussi de la tradition. Enfin, j’enseigne aussi dans une salle bruyante mais le fait de mettre de la musique ne fait que couvrir les autres (cours de danse autour). Je ne suis pas très douée pour le choix des morceaux, et c’est tellement personnel aussi ! Donc en grande majorité je préfère le silence et je trouve que ça rejoint mieux l’esprit du yoga et du retrait des sens, comme tu l’expliques bien. Merci Daphné pour cet article de qualité !

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