POSTURES DE YOGA ET RÉSEAUX SOCIAUX, QUEL IMPACT ?

Yoga et postures acrobatiques sur les réseaux
Depuis que j’ai lancé INCLUSIVE YOGA, je navigue pas mal sur les réseaux sociaux afin de faire connaître mes cours de yoga à Lyon 4e et croix-rousse. J’ai vu quantité de photos et vidéos de professeurs de yoga dans les postures de yoga et contorsions les plus acrobatiques qui soient. A chaque fois quelque chose m’a dérangé mais, je n’avais pas les mots pour le décrire. Puis, je me suis livrée à une réflexion plus longue et me suis demandée : Qu’est-ce qui me dérange dans ces photos de postures acrobatiques de yoga sur les réseaux sociaux ? Qu’est-ce qui cloche ?

Poster des images de soi en train de faire des postures de yoga acrobatiques sur les réseaux est-ce en ligne avec la finalité du YOGA ?

Professeurs de yoga, nous avons pour la plupart, selon notre lignée, étudié les YOGA SUTRA de Patanjali. C’est d’ailleurs pour beaucoup d’entre-nous la référence en termes de philosophie du Yoga. On y comprend dans le chapitre 2, comment l’EGO est cause de souffrance :

Les sources de souffrance sont l'ignorance, l'ego problématique, la passion, la haine, la peur;

et puisque le but du yoga, selon Patanjali, est de réduire les souffrances

Le but du Kriyayogah est de réduire les souffrances et de faire advenir le samadhi

Alors poster ses postures et flatter son ego sur les réseaux sociaux serait, selon la philosophie du yoga, antinomique avec l’objectif du yogi.

 

 

Les postures de yoga extraordinaires sur les réseaux

yoga handstand

Quand je poste une photo de moi en sirsasana (posture sur la tête) ou en bakasana (posture corbeau) ou toute autre posture complexe pour un débutant. Ou alors que je me filme en train de réaliser un enchainement de type Asthanga très engageant physiquement, ne suis-je pas dans l’ego qui se flatte ? Dans cette attitude mentale qui dit « Regardez ce que je sais faire » ?

 

 

Dans la nomenclature des postures de yoga, toutes ces postures sont classées dans la catégorie VISESA (terme sanskrit) à traduire par EXTRAORDINAIRES ou INHABITUELLES.

Lors de ma formation de professeur, j’avais un moyen mnémotechnique pour me rappeler le nom cette famille des postures difficiles. J’utilisais la formule mentale “EH VISEZ CA !”(VISESA)» sous-entendu « regardez ce que je sais faire ».

 

 

L'image peut nourrir un rapport à l'EGO problématique

Notre rapport à ASMITA (l’ego) s’avère problématique lorsque l’ego s’identifie à quelque chose que l’on n’est pas. A une posture par exemple, un physique. C’est l’ego qui se regarde faire la posture en miroir. Et lorsqu’il s’identifie à cela, à cette image, à cette représentation de la posture, l’ego est dans AVIDYA. Il est dans l’illusion, cause de toutes les souffrances de l’homme.

 

L’ego problématique, c’est un ego collé à une identité relative. On se définit par exemple par rapport à la société ou à ses possessions ou à son habileté à faire une posture de yoga. Or tout cela est relatif, changeant en comparaison du soi immuable et intemporel.

Ainsi, il faut bien convenir que se donner en spectacle porte le risque de nourrir l’ego problématique et de causer de la souffrance le jour où l’on n’arrive plus à faire ces postures acrobatiques, ou l’on est blessé, grossi, vieilli, etc. Mais il faut aller au-delà, et se demander en quoi ce type d’exhibition peut aussi être un frein et une cause de souffrance pour nos élèves ?

 

 

Pourquoi les photos de postures de yoga acrobatiques sur les réseaux peuvent avoir un impact négatif ?

Outre l’esthétisation à outrance, Sirsana à Bali, Chaturanga à Phuket et les milliers de postures sur la plage postées chaque jour et qui continuent de flatter nos egos. On peut se poser la question du réel effet que ces images et cette promotion de la perfection ont sur les élèves ou aspirants yogis.

Est-ce que voir une photo de posture ou une vidéo d’un enchaînement complexe que je ne pourrai jamais réaliser du fait de ma morphologie, de mon surpoids, de mon âge ou de ma maladie peut me donner envie de faire du yoga ? Est-ce que cela peut me faire rêver ? Pas si sûr…

 

Est-ce qu’au contraire, je ne vais pas me dire que c’est inatteignable, que cette discipline n’est pas pour moi ? Et générer des émotions négatives et un certain mal être ?

yoga handstand lyon
Aussi, pour les mêmes raisons que ces images contiennent des germes de souffrance pour celui qui les réalise. Elles peuvent créer de la souffrance pour celui qui les reçoit. Sans doute, les professeurs de Yoga qui ont fait du chemin et qui ne réduisent pas leur pratique aux asanas (postures) et à leur représentation, ne sont pas dupes. Ils ont conscience du potentiel de souffrance que cet attachement à l’image implique. Alors pourquoi faisons-nous cela ?

L’utilisation de l’image des yogis dans une dimension spectaculaire et utilitaire n’est pas nouvelle

A l'origine : la demande du Maharajah de Mysore

En 1930, pour donner suite à la demande du Maharajah de Mysore qui souhaitait développer une culture physique indigène locale en réaction à la culture coloniale, Krishnamacharya ouvre une école de yoga à Mysore. La plupart des élèves de cette école sont des princes, membres de familles royales et donc de caste guerrière. Selon Iyengar, Krishnamacharya enseignait d’ailleurs le yoga à ces jeunes hommes comme un art martial.

Populariser le yoga et valoriser la culture indienne

Il enseignait à ces jeunes des enchaînements très dynamiques qui exigeaient souplesse et rapidité. Forme que l’on retrouve en Vinyasa et Asthanga de nos jours. Forme qui aurait d’ailleurs été inventée par Krishnamacharya dans ce contexte. Ainsi, lorsque dans les années 30 Krishnamacharya fait faire des démonstrations d’enchaînement dynamique à ses élèves, c’est pour servir un double but idéologique : il s’agit de populariser le yoga d’une part car il est en danger (concurrencé par la gymnastique européenne) mais il s’agit aussi de montrer aux anglais que les Indiens sont vaillants et agiles.

 

 

Ces démonstrations, qui sont filmées et se déroulent en public comme de vrais spectacles, s’inscrivent ainsi dans un combat anticolonialiste. Il s’agit d’une réponse « symbolique mais aussi physique à l’oppresseur », comme le dit si bien Marie Kock dans ouvrage « Yoga histoire monde ». 

 

 

C’est que le yoga, la culture indienne sont en danger à cette époque et c’est dans ce contexte, pour préserver ce patrimoine, qu’on a pu utiliser des moyens qui semblent éloignés des intentions premières de la pratique yoguique.

"Certains ascètes admettent que les āsanas peuvent être considérés comme un nāṭak, un acte théâtral, et qu’ils sont exécutés pour le public. Selon certains sādhus, les āsanas peuvent être comparés à une kalā, une forme d’art destinée à ravir la foule, à procurer de l’ānand (délice). Parfois, ils organisent même des « spectacles temporaires » — par exemple, en tirant un camion avec une corde attachée à leur pénis — pour attirer un public. De manière similaire, Krishnamacharya organisait des démonstrations d’āsanas pour impressionner et divertir le rāja de Mysore." DANIELA BEVILACQUA AND MARK SINGLETON | Introduction. 8

Quelle analogie avec le présent ?

De la même manière, le yogi qui fait des contorsions et se fait prendre en photo ou vidéos dans des postures ou enchaînement complexes cherche à se faire connaître. Il cherche à démontrer son savoir-faire pour être plus visible, plus populaire. Il s’agirait d’un outil pour préserver et développer son activité. C’est que la concurrence est grande et le métier peu rémunérateur.

"Privés de leur subsistances les yogis furent obligés de faire des contorsions pour de l'argent"

Dans un contexte où la compétition est énorme. Où les cours de yoga ne se vendent pas assez cher et où en conséquence les professeurs sont souvent sous-payés. Ils ont recours aux moyens dont ils disposent pour se faire connaître et assurer leur fin de mois et notamment poster leurs postures de yoga sur les réseaux. On pourrait faire un parallèle avec les yogis de l’Inde coloniale. Comme le précise Marc Singleton dans son livre Yoga body. “Dans l’Inde coloniale, les yogis étaient mal vus du fait de leur puissance économique, de leur apparence, de leurs pouvoirs de manipulation et de leurs pratiques réputées impures. A noter que dans leurs rangs aucune exigence de caste (chez les nagas notamment) ou d’origine dans certains autres groupes […]. Autant de pratiques scandaleuses pour les hindous traditionalistes. Le pouvoir britannique ainsi que certaines élites commerciales indiennes se sentant menacés par ces ascètes armés firent une propagande anti-yogis à tel point que ces yogis furent forcés de se sédentariser et de se démilitariser (Pax Britannica).”

Privés de leur moyen de subsistance, des yogis qui auparavant étaient très puissants et contrôlaient les réseaux commerciaux du nord de l’inde, furent obligés de demander l’aumône ou de faire des contorsions en public pour de l’argent.

« Le yogi était un personnage de cirque apprécié. Dans le sous-continent indien, les yogis, auparavant mercenaires craints, devinrent des bons à rien méprisés, des hors-caste exhibant leurs contorsions pour de l’argent. Le hatha yogi était le paria de l’Inde coloniale. »

Alors nous devons être indulgents envers les professeurs de yoga, lorsqu’ils ont recours à l’image. Lorsqu’ils font des contorsions et postent leurs photos de postures acrobatiques sur les réseaux. Ce n’est pas tant pour flatter leur ego que pour faire marcher leurs cours et boucler leurs fins de mois. Il faut néanmoins alerter sur la possible contre-productivité de ces images en ce qu’elles excluent plus qu’elles n’incluent. Culte du corps parfait, de la minceur, de la souplesse, de la performance. Esthétisation à outrance, stéréotypes et en conséquence très peu d’inclusivité. Ce qu’on pourrait envisager, c’est d’apprendre à mieux vendre notre « valeur », réfléchir aux conséquences de certaines de nos actions. Notamment, quel est l’impact de tous nos ateliers et cours gratuits sur la perception que nos élèves et le public peuvent avoir de la valeur du yoga et de son enseignement ?

Valoriser nos qualités pédagogiques plus que notre capacité à réaliser des postures

Ne faut-il pas réserver la gratuité aux publics en difficultés ? Réserver les tarifs réduits pour les étudiants, les personnes en recherche d’emploi ?

Nous avons investi dans nos formations et nous continuons d’investir. Ne faudrait-il pas valoriser plus nos formations, nos connaissances, notre expertise, nos qualités pédagogiques. Valoriser nos services afin de ne pas laisser se développer un culte de l’image qui nuit à notre discipline et à sa diffusion ?

 

Daphné – Pour Inclusive Yoga

 

Yoga Lyon Croix Rousse - Yoga Lyon 4 - Essai gratuit toute l'année. Inscription possible toute l'année.

Nos cours de yoga impliquent un travail sur le souffle (exercices de pranayama) et sur la canalisation du mental (méditations, visualisations, pleine conscience).

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14 Responses

  1. Bonjour Daphné, merci pour cet article extrêmement fouillé sur un sujet qui me parle beaucoup. Comme toi, j’ai à coeur d’offrir un yoga inclusif et l’image du yoga sur les réseaux est un frein pour beaucoup à l’entrée !

  2. Coucou Daphné,
    Un grand merci pour ton article complet et ta réflexion très intéressante. Cette question m’avait déjà interpellé.
    Il est vrai que le yoga ne représente pas pour moi le culte du corps, la compétitivité ou encore une bataille à gagner
    Le yoga est avant tout pour moi un alignement corps et esprit , pour lequel il faut être à l’écoute et faire avec ses possibilités du moment. Je pense que l’image du yoga qui est parfois donnée par certains via les réseaux sociaux ne correspond en rien avec la véritable philosophie du yoga et peut être un frein pour encourager certains à débuter
    Le yoga c’est aussi être humble
    Belle journée à toi 😘

    1. Un grand merci Céline pour ton retour éclairé 🙂 c’est vrai que l’image donnée sur les réseaux freine et c’est fort dommage ! Sur la notion de bataille à gagner et du rapport entre combat et yoga, j’ai une approche assez engagée, je te laisse lire cet article
      Le Yogi est-il un combattant ?
      et me dire ce que tu en penses.
      Daphné

      1. Re Daphné,
        Désolée je me suis je pense mal exprimée par rapport à la notion de bataille. Je voulais plus parler de rivalité entre toutes ces photos postées, sur celui qui fera la plus extraordinaire posture
        Quant à la notion de combat avec soi même, de la discipline et de cette mise en garde du « rien n’est jamais acquis », je te rejoins à 100%
        Bravo pour tes écrits
        Bisous 😘

    2. Merci pour cet article dont je partage totalement le sens.
      Je suis pratiquante de longue date et non enseignante et je me faisait la réflection ne voir que des vidéos de yoginis de 25 ans max et gaulées de la mort , évidement en legging trop jolis, dans des enchaînements fluides montrant des créatures sauvages suivies de ponts qui finissent en hand stand et variations . Bref tout c’est très beau, évidement je n’y arriverai jamais, d’ailleurs je n’ai plus 25 mais le double et mon legging est tout troué.
      En tant qu’élève mais néanmoins ci fondatrice d’une association de yoga je pense qu’il y a méprise .
      Oui j’ai envie de progresser dans mes postures « one again « pour 5% de ma pratique mais plus encore d’aller plus loin dans mon yoga , dans mes sensations que finalement on peut trouver dans « basique « guerrier.
      Alors c’est con que les profs s’attachent autant au visuel d’autant que généralement on pratique yeux fermés mettant toute notre attention à leurs paroles, voix, variations et intonations.
      Mais y’a du boulot, on l’a tous fait éleves, profs, et on le fera encore , poster des vidéos sur la plage , des vidéos , donner des leçons sur tout se croyant plus intégre par ce qu’on a lu les yogas sutras ou la y’a bagavad gitta.
      Echanger , en parler c’est déjà très très bien . Merci pour cette occasion et bravo pour tes cours inclusifs je trouve top!
      Ego ego ego 😀

      1. Merci Maria Elena pour ton retour, en effet la discussion ouverte est plus porteuse que les leçons et les jugements. Soyons indulgents et mais aussi vigilants sur ce qu’on fait du Yoga 🙂

  3. Ma chère Daphné,
    Non surprise de la sagesse qui se dégage de tes réflexions, je te remercie pour le regard que tu portes sur le yoga et le monde. Le travail d’une vie.

    1. Merci pour ce partage l’article sur caroblog est extrêmement intéressant. Je partage le goût pour le travail et l’expérimentation des postures avancées, ce n’est pas tant la posture avancée que l’image de la posture ou la représentation de cette dernière qui a porté mon questionnement. Merci encore pour ce partage.

  4. Bonjour,
    Les réseaux sociaux reflètent la diversité du monde dans lequel nous vivons. Les Yogis restent des être humains avec leurs failles, ego, etc …. Après tout, je suppose que c est une affaire de soi à soi. Si ces photos dérangent « l’éthique » alors que la bienveillance voudrait que l’on soit enclin à ne pas juger, c est que cela froisse notre propre ego. Peu importe la porte empruntée pour faire la rencontre du Yoga, que ce soit parce que c est un « Life style » et le move du moment à suivre, si à un moment donné les couches profondes de l’être sont effleurées, alors la magie du Yoga fera son œuvre. Et c est bien tout ce qui importe. On ne peut pas empêcher l’aspect cosmétique de la Societe s emparer de tous les domaines en vogue, mais le Yoga est une pratique si puissante que je doute que quelques contorsions postées pour le fun puissent entraver l’éveil de l’être.

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