Yoga Shalala
Un début déroutant
Jeanne est professeur de philosophie et pratiquante de yoga. Intriguée par les contradictions et l’irrationalité qu’elle découvre dans le monde du yoga, elle décide de mener sa propre enquête. Enquête qui prend la forme d’un récit initiatique : YOGA SHALALA.
Le livre s’ouvre rapidement sur certains clichés. Tout d’abord l’expérience d’un festival de yoga New Age, déjanté et perché où l’on pratique le yoga en buvant de l’alcool, puis l’épisode sulfureux de Jeanne avec un yogi tantrique. Cela nous déroute car c’est plutôt loin de nos univers et de nos propres expériences yogiques (nous sommes toutes les 4 pratiquantes et enseignantes).
Avec cette plongée rapide dans les clichés, amour tantrique et festival psychédélique, nous craignons un ouvrage trop orienté en ce sens. On se demande alors mais où va cette histoire ? Qu’y a-t-il au-delà de ces clichés ?
Pour ma part, je me rappelle « Yoga » d’Emmanuel Carrère, ouvrage qui m’avait déçue par ce côté cliché et notamment la scène de sexe à l’hôtel après le séminaire, scène qui m’avait laissée perplexe, et je me demandais en 15 ans de pratique, d’ateliers, de séminaires, à quel moment un truc comme cela aurait pu m’arriver ou arriver à l’un des participants ? C’était tellement irréel dans le monde du yoga que j’habitais.
Bref, pour ma part j’avais besoin que cette histoire soit vraie, peut-être que j’avais été trop déçue que l’histoire d’Emmanuel Carrère comporte de la fiction alors qu’elle se présentait comme autobiographique. J’avais besoin que l’histoire de Jeanne soit vraie, qu’elle ne trahisse pas. Quand, j’ai compris que Bernie existait en vrai, j’ai pu adhérer totalement et j’ai pu faire confiance à l’histoire et y plonger sereinement.
Yoga Shalala : Une forme singulière qui ne laisse pas indifférent
Si les clichés du début nous ont fait un peu peur, nous avons trouvé l’aspect BD et le graphisme très intéressants car cela tranche avec tout ce qu’on avait pu voir avant.
Le code couleurs, un peu flashy et clairement digne de l’art psychédélique des années 60, nous surprend énormément. C’est tellement différent des couleurs douces et peu saturées auxquelles nous sommes habituées dans le monde du yoga. Remarquons d’ailleurs la ressemblance entre cette pochette de disque des années 60 et la couverture de l’ouvrage.
En outre, le graphisme psychédélique et l’aspect BD ne font pas l’unanimité, et si certaines adorent les visuels, d’autres trouvent les dessins un peu agressifs, trop vifs avec parfois avec trop de bulles, trop d’infos enfin ça c’est au début car après on s’y fait, et au final on aime beaucoup.
On s’interroge sur l’absence de numéros de page, du coup pas facile pour notre debrief de se référer à telle ou telle page, mais c’est un détail, et peut-être est-ce intentionnel ?
Puis au fur et à mesure que nous discutons du livre on re-regarde certaines pages et on découvre des détails dans les dessins qu’on n’avait pas vu au départ, comme une histoire parallèle. Comme si les images racontaient encore un peu plus de cette histoire, comme si la part d’indicible était dessinée et on se dit que peut-être on aurait dû prêter plus attention aux dessins et à leur complexité. Les dessins, comme les posters psychédéliques des années 60 deviennent alors des cartes au trésor. (en savoir plus sur l’art psychédélique).
L’organisation en chapitre permet, si l’on fait abstraction du récit initiatique de l’auteur, de revenir sur chaque chapitre indépendamment et on aime bien les rappels théoriques très simples et pédagogiques sur les concepts du yoga, son histoire et les ouvrages canoniques de référence.
Yoga Shalala nous permet de faire des liens
Yoga Shalala, nous a permis de faire des liens avec nos histoires personnelles. Qu’il s’agisse d’expériences positives comme comment l’écoféminisme nous a amenées à découvrir le yoga ou d’expériences traumatisantes telles des expérience sectaires ou violentes dans le monde du yoga que ce soit lors de formations en France ou à l’occasion d’expériences dans des écovillages en Asie.
Certaines d’entre-nous se sont réellement vues dans la peau de Jeanne, mais dans un monde parallèle, un autre culte, d’autres gourous, d’autres pays, les mêmes dérives.
Mais heureusement, pour les plus jeunes d’entre nous, les mauvaises expériences se raréfient et certaines n’ont jamais rencontré de telles dérives.
Pour ma part, je tisse aussi un lien avec ma première passion : la philosophie que j’ai étudié à la fac. L’auteur de Yoga Shalala est prof de philo et écrit cette histoire notamment pour souligner les multiples contradictions qu’elle observe dans le monde du yoga. Ainsi, ce livre m’a permis de faire des liens avec ma propre histoire et notamment sur pourquoi je ne me sens pas à l’aise avec des professeurs de yoga qui assènent des dogmes et dont les cours ressemblent à une messe, pourquoi j’essaie de dresser un cadre dans lequel c’est l’élève qui fait ses propre liens, déductions, expériences plutôt que lui imposer des croyances toutes faites.
Le piège de la recherche
Nous sommes plusieurs à nous retrouver dans le piège de la recherche, dans lequel Jeanne tombe à nos yeux.
Pour certaines personnes, les livres, les concepts sont la zone de confort, le terrain familier et il est plus confortable de s’y réfugier que de redescendre dans son corps et de se mettre sur le tapis. D’ailleurs, je me suis tellement absorbée dans l’écriture de cet article que je n’ai pas pris le temps de me mettre sur le tapis aujourd’hui.
Le piège de la recherche est de rechercher la recherche. On peut se perdre de vue. Qui suis-je qui cherche ? Plus on lit, plus on s’éloigne de soi. Pour certains, cela est plus facile de lire que de se lever le matin et de pratiquer. On voit Jeanne se perdre dans la recherche et se perdre elle-même de chapitres en chapitres.
Il semble que la recherche de l’auteur est double, une quête philosophique de vérité qui débusque les incohérences du yoga mais aussi en arrière fond une quête plus profonde, une quête de soi-même, de découvrir qui l’on est. Le champ de bataille de Jeanne est double. Ce sont autant les contradictions théoriques auxquelles elle fait face dans le monde du yoga que ses propres démons ou conflits intérieurs qui la mettent à chaque fois sur des chemins escarpés, dans des situations de mises en danger récurrentes.
Comme si elle est à la fois animée de raison et de passion, à l’image de sa relation avec Bernie. Elle nous déroute de par ses choix qui ne nous semblent pas toujours en cohérence. D’une part une quête philosophique initiale plutôt menée par une adulte raisonable, et d’autre part une aventure avec des choix parfois en mode adolescente intrépide et insousciante, comme par exemple, partir en moto dans la forêt avec un homme qu’elle ne connait pas ou sa décision de revenir avec Bernie après le passage dans la secte tantrique à Rishikesh.
Une quête qui fait écho à la Baghavad Gita
Pour certaines, ce récit initiatique, cette quête, fait écho à la quête d’Arjuna dans la Baghavad Gita. L’un des messages de la Gita, c’est d’écouter à l’intérieur de nous, d’où l’importance de faire silence pour écouter. Ce silence, c’est le chapitre 15 de Yoga Shalala, la partie où Jeanne déprime, allongée toute la journée où son mental est aphasique « Ne rien savoir, ne rien vouloir. Ne plus penser, ne plus bouger ».
C’est dans cet espace d’écoute, où la recherche n’est plus, où le chercheur ne se recherche plus, que la rencontre avec Soi advient.
Dans Yoga SHALALA, cette rencontre est incarnée par la rencontre avec Hanuman, dieu de la sagesse, et si le petit singe de l’ouvrage, chitta, représente le mental agité (cita en sanskrit), Hanuman qui apparait au dernier chapitre pourrait bien représenter l’intellect (Buddhi).
Comme l’écrit Swami Chinmayanadan dans son commentaire du chapitre 2 de la Bhagavad Gita « la faculté de penser peut prendre deux formes : l’intellect et le mental. Lorsque la pensée est un flot agité, elle est appelée « mental ». Quand elle est concentrée, calme déterminée, elle est appelée intellect. Ainsi le Budhi yoga est l’attitude de l’individu établi dans la dévotion pour l’intellect. Vivre en étant le maitre de son univers intérieur, ferme dans sa conviction, le mental parfaitement contrôlé par le pouvoir de discrimination et de décision, voici ce qu’on appelle Buddhi yoga »
C’est ce que nous dit Jeanne à la fin de YOGA SHALALA « contrairement aux clichés, le but n’est pas de se percher dans une zenitude béate ! … En fait le yoga n’est pas le rejet de la pensée. Au contraire l’intelligence (buddhi) y est célébrée. »
Ainsi, il est important en yoga d’avoir un espace d’écoute. Il faut pouvoir rapatrier ses sens pour rentrer dans la qualité de l’intellect (Buddhi). Le message du chapitre 2 de la Gita, c’est l’idée que le yogi a tout en lui.
Selon les mots de Jean-Yves Defobbis, (formateur à l’Institut Français du yoga et génial commentateur de la Bhagavad Gita sans l’enseignement duquel cette analogie entre Jeanne et Arjuna n’aurait pu advenir).
« Le yoga est cette relation à sa profondeur, c’est se rendre sensible à cette fréquence qui est toujours là et la pédagogie du yoga serait en ce sens ‘ne cherche pas à l’extérieur, tu as tout en toi’ ».
C’est aussi, à nos yeux, le sens du dernier chapitre de Yoga SHALALA « le gourou est en toi » et quand Jeanne écrit « Là dans l’instant, simplement reliée au souffle, qui vient librement, Tout est là », Jean-Yves Defobbis nous donne comme objet de méditation ces mots superbes « tout est là, tout peut arriver car tout est, tout est au fond du cœur, là où réside l’ultime lumière ».
Dans Bhagavad Gita, Ajurna cherche les réponses à l’extérieur de lui et Krishna lui dit, tu ne peux que t’élever toi-même. Que tu fasses tout, tout est bon à la condition que tu ne nourrisses pas de désirs multiples, mais que tu écoutes l’univers en toi, au fond de ton cœur. Que tu utilises la méditation comme processus d’accès à l’intériorisation. Le yoga dit « stop » pour accéder à des réponses profondes. En tant que professeur, il faut faire le silence parfois, se recueillir. Ce qu’on cherche c’est le chercheur, pas moi EGO mais MOI dans le silence. Je suis le chercheur mais avant je cherchais en dehors de moi.
La vraie connaisance passe par la qualité du regard, non par l'accumulation du savoir. Il faut choisir l'essentiel. Une telle prise de consience suscite une adhésion totale, une foi qui soulève les montagnes, qui transforme
COLETTE POGUI dans LA BHAGAVAD GITA OU L'ART D'AGIR
Importance de la thérapie pour le yogi
Cet ouvrage souligne aussi l’importance du travail thérapeutique et notamment chez les professeurs de yoga qui en ont besoin. En effet, il faut être vigilant à ne pas utiliser le yoga pour renforcer nos tendances pathologiques, ni projeter nos schémas sur nos élèves. Dans le YOGA-SUTRA de Patanjali, « svādhyāya », qui est le fait de se connaitre soi-même, d’enquêter sur soi est un prérequis à l’état de yoga.
Ainsi, la démarche thérapeutique est plus que recommandée avant d’enseigner. Et dans une profession qui n’est pas encadrée cela relève de la responsabilité de chaque enseignant de s’interroger sur la nécessité d’une thérapie. En tout cas, cela est recommandé dès Patanjali et l’ouvrage Yoga Shalala nous alerte sur les dérives d’un yoga pathologique.
Notre note sur Yoga Shalala : 4,25/5
On a adoré ce livre qui nous a toutes questionnées. On ne peut pas tout écrire ici (car on doit aller pratiquer) mais ce livre nous a fait nous poser beaucoup de questions parmi lesquelles :
- La place de la thérapie chez le prof de yoga
- Faut-il tout comprendre, tout expliquer ?
- L’importance du silence dans les cours de yoga
- Faut-il partir vivre à la campagne pour être un yogi cohérent ?
- Comment parler des notions de chakra, de corps subtils, notions sur lesquels Yoga Shalala donne un éclairage lumineux et plus que nécessaire.
On recommande ce livre à tout enseignant ou passionné de yoga. Merci à Jeanne pour ce cadeau et à Aurore pour ses créations psychédéliques.
Daphné & le YOGI BOOK club de Lyon
C’est le sens d’un « contrôle » qui serait premier historiquement
Hatha yoga, Yoga pour tous, Yin Yang Yoga, yoga prénatal, postnatal
Nos cours de yoga impliquent un travail sur le souffle (exercices de pranayama) et sur la canalisation du mental (méditations, visualisations, pleine conscience).