Yoga : Art du contrôle ou du lAcher prise ?

Un double sens

Étymologiquement, le mot yoga vient de la racine sanskrite « yuj » usuellement traduite par ces 2 sens :

1) Etat d’union (unir, lier)

2) Action de mettre sous le joug, d’atteler, de mettre au repos.

Dans le premier sens, qui est le plus répandu, l’union peut représenter celle de la conscience individuelle à la conscience universelle ou l’union de l’homme avec le divin ou encore l’union du corps et du mental avec l’esprit, le soi. Cette union engendre un état d’harmonie.

Dans le deuxième sens, celui de mettre sous le joug, il s’agit de discipliner, de dompter, de contrôler ses sens, les fluctuations de son mental et les mécanismes de son psychisme afin de discerner sa véritable nature de principe spirituel et d’atteindre l’harmonie.

Yoga, un art du contrôle au sens premier historiquement

Or si le sens d’union est le plus répandu, c’est le sens d’un « contrôle » qui serait premier historiquement.

 

Dans l’ouvrage « YOGA, l’art de la transformation », il est indiqué que dans le Rig-Véda, texte sacré datant du 15e siècle avant JC, le terme YOGA « ne désignait pas la méditation ou la position assise mais un char de guerre comprenant un véhicule à roues, l’attelage de chevaux qui le tire et le joug qui accouple ces derniers ». Le même ouvrage précise que « selon une ancienne tradition guerrière indienne attestée dans les strates anciennes (environ 200 av JC à 100 apr J. C) du Mahabharata, le héros mort au combat était transporté au ciel en traversant le soleil – moment où atteignait le statut de divinité – dans un véhicule appelé YOGA”.

Dans son ouvrage « Sinister yogis » David Gordon White défend la thèse que le sens premier du mot yoga est celui de « mettre sous le joug ». Il rappelle aussi que le terme « yoga » sert initialement à désigner le guerrier mort au combat dans son ascension vers le disque solaire afin de le percer et de rejoindre le monde divin. Il précise d’ailleurs, que la meilleure traduction du mot yoga, est le mot français « attelage » qui désigne l’ensemble : guerrier, char, chevaux.

 

Cette image du guerrier qui une fois tué au combat atteint les cieux sur son char c’est aussi l’image du sacrifice védique. Ayant sacrifié sa vie, le guerrier atteint un statut divin, il accède au monde des dieux

Cette image du char à son importance, car il s’agir de contrôler un attelage fougueux au prix d’un effort afin d’atteindre la libération.

 

 

La symbolique du char est aussi présente dans la Bhagavad-Gita (Texte écrit vers – 1500, et appartenant au Veda). La structure du char est comparée à notre corps physique.

Les 5 chevaux sont les organes des 5 sens, la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat et le toucher. Les routes devant le char sont les différents objets des sens. Les rênes représentent les fonctions mentales qui dirigent les chevaux (manas). Le conducteur du char (Buddhi) est notre intelligence intuitive, l’intellect, la pensée. Le char contient un passager qui est le maître du char, c’est notre esprit l’Ātman, le soi. 

 

La finalité de cette métaphore, c’est de montrer que si les différentes composantes de l’attelage ne sont pas correctement agencées, l’homme n’a aucun contrôle sur ses sens, il vit dans l’illusion et ne peut atteindre la libération.

Ce deuxième sens est illustré au premier chapitre des YogaSūtra de Patanjali

Le yoga, c’est canaliser les fluctuations du mental, les agitations.

Alors (si le mental est bien orienté), le PURUṢA (conscience pure) devient stable, le témoin devient ce qu’il est »

Quand le mental est orienté, cela permet une perception plus juste de la réalité.
Le mental devient comme une « lentille » transparente qui permet une vision objective de la réalité. On cesse alors de s’identifier aux processus mentaux, on se déconditionne et on peut s’établir dans sa nature propre de pure conscience : le purusa, inconditionné et absolu. Cette expérience est celle de l’harmonie parfaite.

 

Ainsi le mot yoga, entendu ici comme une discipline, un contrôle, le fait d’exercer une contrainte sur soi au prix d’un effort serait premier historiquement.

Yoga comme "union" ou "lâcher-prise", un sens plus tardif"

Selon David Gordon White, dans son excellent livre Sinister Yogis, ce n’est que plus tard qu’apparait une nouvelle conception du yoga comme technique de méditation permettant d’atteindre des états de conscience supérieurs tels le SAMADHI (état d’absorption, d’union). Selon lui cette vision qui émerge vers les 3e et 4e siècle à l’époque des YogaSūtra, est influencée par la doctrine du Sāmḳhya puis par les passages de la Bhagavadgītā qui parlent de la bhakti yoga, ou comment le yogi peut par la dévotion atteindre l’harmonie et s’unir à la conscience universelle.

 

C’est aussi le sens du sutra 1.23 – īśvara praņidhānādvā ou l’abandon au divin ou à ce qui nous dépasse est aussi présenté comme un moyen de réaliser sa nature de Pure Conscience.

 

 

Donc, soit on va dans l’effort, le contrôle soit on se fait prendre en charge, on se confie au meilleur des maitres, à Dieu.  Cette deuxième façon d’aborder la pratique est un raccourci suprême qui simplifie beaucoup les choses. On est ici seulement dans le détachement, le lâcher prise : Isvara Pranidhanani.  Pratiquer Isvara Pranidhanani, c’est avoir la conviction profonde que tout ce qui nous arrive est ce qui peut nous arriver de mieux et les obstacles sur le chemin du yoga sont détruits par la relation à une force transcendante.

 

Contrôle et lâcher-prise, les 2 polarités de la démarche yogique

L’abandon au divin ou à ce qui nous dépasse peut-être total et constituer le tout de la démarche comme c’est le cas de celui qui ne pratiquerait que le yoga de la dévotion (bahkti yoga).

Mais dans la démarche qui nous intéresse, celle du yoga intégral ou yoga aux huit membres basé sur les YogaSūtra de Patanjali, le lâcher prise ou détachement ne se réduit pas au sens religieux et est aussi entendu comme un outil, comme une partie de la méthode. Abordons la notion de “vairagyā” pour comprendre de quoi il retourne :

Pour maitriser les agitations du mental, il faut se livrer à une pratique assidue couplée au détachement.

Qu’est-ce que ce détachement ou vairagyā ? C’est l’absence de passion, c’est ne plus avoir d’intérêt pour les choses et objets offerts à nos sens ou d’autres objets réels ou imaginaires.

 

Ainsi la démarche yogique est à la fois contrôle, pratique intense mais aussi détachement, lâcher prise.

 

Les deux pôles sont comme le yin et le yang d’une même réalité, complémentaires d’une même démarche. Il faut à la fois cultiver la discipline, mettre en place tout ce qui est possible pour canaliser le mental et atteindre la clarté qui mène à l’harmonie tout en se détachant des passions, des attachements mondains qui peuvent se mettre en travers de la démarche.

 

D’un côté la démarche yogique implique de « mettre sous le joug », « d’atteler » ce qui demande de l’engagement, de l’autodiscipline, de la volonté, en somme une démarche pro-active (Abhyāsa)

De l’autre, elle requiert une attitude de renoncement, de lâcher-prise, de se libérer des attentes (vairagyā).

Ensemble, ces deux pôles de la démarche mènent à l’harmonie.

Ainsi ces deux visions ne s’opposent pas, elles sont complémentaires, Écoutons cette magnifique analyse de Patricia GAUTHIER :

 Ces différentes traductions du mot yoga ne sont pas forcément contradictoires et font apparaître clairement plusieurs aspects complémentaires : − le sens de « mettre sous le joug/attelage » qui, sous-entend aussi le fait d'être prêt pour le voyage final, marque un trajet ascensionnel, une percée, et implique donc une démarche pro-active, − le sens d'« union », qui implique quant à lui de se mettre en état de recevoir la grâce divine représente donc une démarche plus « passive », − le but étant un état d'être « au repos », kaivalya. Ce qui est, en quelque sorte, résumé par Patanjali : « Abhyasa vairagyabhyam tan nirodhah » « L'arrêt des pensés automatiques s'obtient par une pratique intense dans un esprit de lâcher-prise » (YS I-12).

Si l’on se réfère au texte de TKV Désikachar, dans son ouvrage « Le yoga, un éveil spirituel », il explique parfaitement en quoi les seuls membres du yoga que l’on peut pratiquer sont les 4 premiers membres. Il y décrit les autres membres comme des émanations de ces pratiques. 

 

Ainsi on ne peut, selon lui, que se préparer à laisser advenir la concentration qui entraîne le retrait des sens et qui mène aux autres degrés de l’attention : la méditation et l’état d’union :

 

L’antanga sadhana, cet aspect du yoga dans lequel il n’y a aucune sorte de pratique. Les quatre premiers anga, les attitudes que l’on appelle les yama et niyama et les asanas et le pranayama constituent les membres que l’on peut pratiquer. Les quatre anga restants s’appellent antaranga sadhana, ce qui signifie « certains éléments que l’on ne peut vraiment par pratiquer mais qui surviennent spontanément ». Tout ce que l’on peut faire, c’est se préparer pour favoriser leur venue.

Pour les pratiquants de yoga, nous sentons bien ce moment où le détachement constitue le point de bascule qui nous ouvre à ces expériences d’union, ces états d’absorption (samadhi), c’est flagrant dans la méditation mais s’expérimente aussi dans les postures (asana) et dans les exercices de respiration (pranayama) tout comme dans chaque moment de grâce que peut nous apporter la vie.

 

Un chemin complexe

En quoi est-ce important de souligner la complémentarité de ce double sens ?

Eh bien tout d’abord cela permet de clarifier la complexité du chemin vers le yoga et de ne pas se méprendre sur la démarche à suivre

De fait, définir uniquement le yoga comme un état d’harmonie ou d’union (le résultat), donne à penser que l’état de yoga ne nécessite aucun effort ALORS que canaliser le mental requiert de se livrer à une pratique assidue. Il s’agit d’une démarche motivée, d’un entraînement régulier, d’une pratique intense à la limite de l’affrontement parfois.

 

Cette pratique, c’est celle des 8 huit membres du yoga. Tout d’abord les 4 disciplines : la discipline sur le plan relationnel (YAMA), la discipline sur le plan personnel (NIYAMA), la discipline sur le plan physique (ASANA), la discipline sur le plan énergétique (PRANANYAMA), puis les dévelopements qui en découlent : retrait des sens (PRATYARA), concentration (DHARANA), méditation (DYANA), absorption (ABSORBTION).

 

Il est important de ne pas limiter le yoga à son sens d’harmonie intérieure ou d’union passive et il est nécessaires d’insister sur la démarche proactive, celles des aspects éthiques notamment trop souvent oubliés lorsque l’on parle du yoga.

 

Les YAMA, les règle de relation à autrui sont au coeur de cette démarche pro-active. Pas de pratique de yoga sincère sans les refrènements suivants : ne pas nuire, ne pas mentir, ne pas convoiter (voler), canaliser ses pulsions, ne pas accumuler. De même, sur le plan personnel les NIYAMA que sont la pureté (du corps et du cœur), le contentement, l’engagement, la connaissance de soi, l’acceptation de nos limites sont des préalables au discernement qui mène à l’état de yoga.

 

Mettre en avant la complémentarité et l’interdépendance de ces deux sens c’est éviter de donner à penser que je peux, me prétendre un yogi sincère ou plus dangereux un professeur de yoga sans respecter le principe de non-violence par exemple. Il n’y a qu’à regarder les dérives dans le monde du yoga rien que sur ce site Instagram, c’est épouvantable.

 

C’est aussi remettre le volet social et éthique au cœur du yoga. Un yogi sincère c’est un yogi qui cherche à se libérer du narcissisme, de la haine, des compulsions, de la peur ou en tout cas qui est entré en résistance contre ces afflictions car rien n’est jamais gagné.

En ce sens, je partage vivement la pensée de Frans MOORS dans son commentaire du YogaSūtra

" Le yoga n’est pas une béatitude inerte, mais le fruit d’un travail qui tranche et met l’ignorance en pièce. "
Frans MOORS

Sources :

C’est le sens d’un « contrôle » qui serait premier historiquement

Cours de Yoga à la Croix-Rousse et à Lyon 4 - Essai gratuit et inscriptions possibles toute l'année.
Hatha yoga, Yoga pour tous, Yin Yang Yoga

Nos cours de yoga impliquent un travail sur le souffle (exercices de pranayama) et sur la canalisation du mental (méditations, visualisations, pleine conscience).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *