yoga pour tous, comment FAIRE MIEUX ?
Beaucoup de cours s’intitulent YOGA POUR TOUS, YOGA TOUS NIVEAUX, YOGA DOUX ou YOGA ACCESSIBLE. Néanmoins, il n’est pas rare d’entendre des témoignages d’élèves qui ont essayé de tels cours et qui se sont quand même sentis invisibles, mis de côté, et qui ont parfois même eu honte de leur corps. Malheureusement beaucoup en concluent que le professeur de yoga n’a pas les outils pour travailler avec un corps comme le leur et que le yoga n’est pas fait pour eux.
Ci-dessous le témoignage de Natalia Tabilo, fondatrice yogaforallbodies
" Dans certains cours de Yoga pour tous, je me suis sentie exclue et j’ai même ressenti de la honte pour mon corps. Je vis dans un corps grande taille et souffre d'handicaps invisibles "
"I’ve Felt excluded and even body-shamed in yoga spaces. I live in a larger body with invisible disabilities."Natalia TABILO - yogaforallbodies
En tant que professeurs de yoga nous souhaitons appliquer la non-violence (AHIMSA) dans nos cours mais sans le vouloir et sans le savoir parfois, la manière dont nous communiquons sur le yoga, dont nous construisons et guidons nos séances peuvent parfois heurter nos élèves.
Pour agir, et faire en sorte que l’accessibilité et l’inclusivité ne soient pas que des mots vides ou des arguments marketing, il nous faut d’abord comprendre ce qui blesse.
Comprendre ce qui blesse
Le yoga dans les médias
Les images, les vidéos qui pullulent sur les médias sociaux donnent à penser à beaucoup que le yoga n’est pas fait pour eux. Parce que les postures ou les flows des réseaux leur sont inaccessibles.
J’ai déjà écrit à ce sujet, vous pouvez consulter l’article complet ici.
Il ne s’agit pas de critiquer unilatéralement toutes ces représentations bien entendu, car célébrer tous les corps, c’est aussi célébrer toutes les postures, tous les potentiels mais d’amener plus de diversité, de mixité dans nos publications, dans nos choix de visuels, dans nos shooting photos.
Voir des corps de toutes les morphologies, de toutes les origines, de toute les tailles, de toutes les couleurs, de tous les âges, de tous les genres ou au-delà des genres.
Voir des corps qui bougent différemment, qui ont des capacités diverses et ne pas se cantonner aux représentations d’exploits acrobatiques par des corps svletes.
Diversifier, nuancer, célébrer la variété des corps.
Le Yoga challenge et la notion une posture principale
Si les supports sont essentiels, il ne suffit pas d’avoir des blocs pour proposer des cours de YOGA POUR TOUS, accessibles et accueillants et comme le dit Natalia Tabilo « Il existe de nombreux cours axés sur la progression, le challenge, le yoga avancé ou basé sur la réalisation d’une posture principale ». En somme, du yoga pour « réussir » quelque chose mais peu d’approches qui honorent la diversité des corps et des esprits.
Cela transmet à certains le message qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec leur corps, qu’ils ont besoin de réparer quelque chose. De s’entraîner, pour recevoir les bénéfices de la pratique. Cela empêche même certains d’essayer et cela brouille le vrai sens du yoga.
Dans un cours de YOGA POUR TOUS, le yoga devrait être au service de la diversité des corps et des possibilités. Il ne devrait pas s’agir pas de travailler à « réussir » une posture ou un alignement.
Il ne devrait pas s’agir d’un cours de yoga qui va préparer à une posture principale car même bien préparées, certaines postures, restent inaccessibles à certains corps et cela donne le sentiment à l’élève de ne pas y arriver, d’être en échec, un sentiment d’exclusion du groupe et du cours de yoga. Imaginez, 45 minutes de préparation pour réaliser une posture qui nous est inaccessible au final …
Le modèle "progressif"
Le modèle progressif où on avance vers la posture principale pas à pas et où chacun s’arrête lorsqu’il est au maximum de ce qu’il peut faire alors que les autres continuent pose aussi question. Car il y a ici le message d’une progression, d’un chemin vers quelque chose à réaliser et aussi le possible sentiment d’être laissé sur le chemin, d’être isolé sur l’on ne parvient pas au but.
Dans un cours de YOGA accessible à tous, il est plus judicieux de privilégier une approche par thème : la mobilité de la colonne vertébrale ou l’ouverture des hanches, par exemple. Ces thèmes sont des invitations à explorer notre corps. Explorations, qui peuvent se réaliser par différents chemins corporels, différentes postures et ainsi honorer la diversité des corps. C’est l’idée qu’il n’y a rien à réussir, à conquérir. On cherchera plus l’intériorité, la conscience corporelle, la présence à soi à l’aide de ce thème qu’on explore. Le focus se fait sur la conscience corporelle plus que sur le challenge, la réalisation, la réussite de quelque chose.
Finalement, il ne s’agit pas de se challenger, de réussir quelque chose, la présence à soi reste un défi qui nécessite déjà un très bel engagement de la part du pratiquant de yoga.
Le guidage trop directif
Quand on guide un cours de yoga, on peut s’entendre lister des postures que l’élève doit accomplir quand il entend le nom de la posture. La posture peut alors résonner comme un ordre. Dans ce guidage nécessaire, sinon le cours serait chaotique, il y a néanmoins une posture de l’enseignant à l’enseigné, une autorité qui ne laisse parfois pas assez d’espace à la liberté du pratiquant.
L’approche de Natalia Tabilo est très riche en ce sens qu’elle souligne l’importance de laisser plus de choix au pratiquant. Il s’agit de proposer des alternatives, des options. Cela est encore plus important lorsque l’on cherche à enseigner dans une approche sensible aux traumatismes.
On peut par exemple, inviter l’élève à faire le mouvement dont son corps à besoin, à choisir de rester plus longtemps dans une posture même si l’on en propose une nouvelle. Avoir une approche avec plus d’options, d’alternatives, plus d’invitations et le fait de ne pas travailler avec un objectif de posture principale mais de zone corporelle ou de thème rend cela possible, cela donne aussi plus de liberté au professeur et à la séance de yoga.
Car il n’y a rien à préparer de trop spécifique, comme une posture principale, un point culminant.
Il s'agit d’inviter à être présent à ce qui est, d’être conscient et d’accepter que le corps et l’esprit que nous avons aujourd’hui sont suffisants, parfaits tels qu’ils sont. De se connecter avec ce dont nous avons besoin maintenant. Et ces choix, basés sur notre liberté, se traduiront dans la vie quotidienne.
Natalia TABILO - yogaforallbodies
Ainsi, il s’agit de faire de la place dans nos guidages à plus d’exploration, plus de choix. Dans cette même logique d’approche sensible aux traumatismes, il n’y a evidemment pas d’ajustement manuel, le guidage à la voix suffit dans la plupart des cas.
La manière de proposer des "adaptations"
C’est ici la pépite de Natalia TABILO : la prise de conscience des effets néfastes de l’usage du terme « ADAPTATION ». Souvent le professeur propose une adaptation s’il voit un élève qui ne réussit pas une posture dans sa version standard. En somme lorsque l’élève, ne peut pas atteindre le « concept » de la posture ou sa « full expression » comme disent les anglophones.
Dans cette vision, l’adaptation est une alternative pour faciliter la posture canonique. Il y a donc l’idée que l’adaptation est « moins » que la posture qu’elle cherche à reproduire. L’idée que c’est une version facilitée, inférieure. Dans cette vision, l’adaptation n’est pas un moyen d’honorer et d’incarner positivement la diversité des corps, des morphologies mais de placer le concept de la posture traditionnelle comme supérieur. Pour faire un parallèle philosophique, c’est l’idée du lit de Platon : le seul lit parfait c’est l’idée de lit, le concept ET les versions matérielles, les lits qui existent dans notre monde sont forcément moins parfaits que cette version idéale.
Or ce que propose Natalia c’est de se placer dans une perspective qui honore la diversité des corps.
ET ce qui est parfait c’est cette diversité, c’est chaque corps tel qu’il est. Ainsi elle ne parle pas d’adaptation mais de VARIATION.
Tour comme on « varie » les plaisirs, on peut varier les postures. Et les variations ne sont pas à proposer dans une perspective ou les pratiquants ne peuvent réaliser la posture traditionnelle mais systématiquement et au même rang de hiérarchie que la version traditionnelle.
On pourrait penser qu’on joue sur les mots mais on sait bien que le langage véhicule notre représentation du monde.
Les outils pour honorer la diversité dans les cours de yoga
Banaliser et valoriser les supports :
Utiliser et mettre à dispositions tous les supports possibles : briques, sangles, bolsters, couvertures, chaises, etc. En tant que professeur, démontrer systématiquement comment on utilise les supports. Les banaliser, le valoriser afin qu’ils soient des outils au service de la diversité et non considérés comme des “béquilles” qu’un corps imparfait utiliserait pour reproduire une posture parfaite.
S’inspirer :
Une fois qu’on a compris ce qui peut blesser et qu’on souhaite agir, nous avons plein d’outils à notre disposition. Les personnes qui me nourrissent sur ce chemin sont notamment :
Parce que Natalia vit dans sa chair les handicaps invisibles et qu’elle vit dans un corps « grande taille » comme elle le dit et que ses conseils sont hypers concrets
Parce que l’histoire de Rodrigo, son témoignage sur comment le yoga l’a sauvé m’a bouleversée et aussi parce qu’il est un super prof de yoga.
Parce que ses remix sont tout simplement géniaux et qu’il a beaucoup d’humour
Parce que Claire est une pionnière en France du yoga pour les rondes et qu’en plus elle a une très belle énergie
Parce que qu’elle est une grande voix qui dénonce l’appropriation culturelle du yoga. Son livre « embrace yoga roots » pourra chiffonner les adpetes de yoga, en tout cas, il permet ouvrir les yeux sur l’appropriation culturelle qui est faite du yoga.
Se former :
Bien entendu commencer par suivre une formation de professeur de yoga sérieuse et dans un format qui vous laisse le temps de vous transformer (formation longue de type IFY sans hésiter).
Approfondir ses connaissances en anatomie permet de comprendre le pourquoi des postures et de proposer des variations plus facilement. Attention à bien se former auprès de vrais spécialistes. Formation de Gasquet par exemple ou celle de Muriel : adapter son yoga qui partage plein d’astuces anatomiques pour les profs de yoga sur son blog aussi.
Méfiez-vous, en revanche, d’une formation de professeur de yoga qui ne serait basée que sur l’anatomie et qui évacuerait l’aspect spirituel en prétextant que chacun fait ce qu’il veut de sa spiritualité : ces formations sont des formations de professeurs gymnastique pas de yoga, parfois même de mauvais plagiats de la méthode de Gasquet et sans aucun respect pour les racines du yoga.
Rester curieux
Être conscient de ce qui peut blesser, nous interroger sur notre manière d’enseigner, rester curieux toujours et pratiquer en se demandant ce qu’on ferait si on avait telle ou telle morphologie ou difficultés, travailler avec des supports, être inventif, observer nos élèves et s’amuser avec la diversité car comme le disait ma formatrice de l’institut français de yoga “nos élèves nous élèvent“
Hatha yoga, Yoga pour tous, Yin Yang Yoga
Nos cours de yoga impliquent un travail sur le souffle (exercices de pranayama) et sur la canalisation du mental (méditations, visualisations, pleine conscience).
Merci beaucoup Daphné pour cet article – et quel honneur de figurer parmi tes références ! Je comprends mieux grâce à toi pourquoi je n’ai jamais accroché au concept de « posture phare » dans un cours de yoga. Je préfère largement les thèmes comme l’énergie , le dos etc. Aussi, je retiens l’utilisation du mot « variation » en lieu et place d’options et j’en parlerai dans mes formations de profs ! Merci encore !
Merci Claire, oui la posture principale peut parfois enfermer le prof et l’élève et pour le mot le VARIATION c’est aussi et surtout en lieu et place d’ADAPTATION. A te lire, Daphné
Bonjour Daphné, merci pour ton article éclairant et la citation aux côtés de Bernadette De gasquet ! Je suis particulièrement touchée car Bernadette de Gasquet est un auteur très inspirant pour moi depuis ma vie de kiné jusqu’à celle de yogini. Pour ma part, je suis quand même très adepte de la pédagogie que tu appelles “progressive” . Je trouve vraiment important d’apprendre à chacun le respect de son alignement juste (on est tous d’accord là-dessus) et c’est justement un point que j’ai adoré en débutant le yoga : le discours classique est très apaisant et tolérant “faites ce que vous pouvez / respectez votre corps, à sa limite du jour”. Rien à voir avec ce que l’on peut entendre dans d’autres types de cours en dehors du yoga. Je suppose que cela dépend vraiment du cours, des postures choisies, du prof, des autres élèves et que nous n’avons pas tous le même vécu. Merci donc pour l’ouverture d’esprit apportée !